À LA VILLA CAMELINE
MICHEL GATHIER 2015
Voir ou regarder engagent le spectateur dans un rapport trouble quant à sa passivité supposée ou sa conscience de l’acte mental qui l’implique dans un dispositif critique entre ce que est réfléchi dans l’espace, la source qui diffuse la lumière, et l’iris de l’œil qui la reçoit.
Emmanuelle Negre s’empare du cinéma comme medium et dissèque cet espace entre l’écran et le projecteur en mettant en parenthèse ces supports pour explorer l’autonomie de la lumière à l’instant où une fiction la traverse. Le champ filmique, dans son continuum, est un temps qui se matérialise non seulement par son flux lumineux mais également par les résidus de fiction qui le parcourent. Car il n’a pas de temps ou d’image sans narration et tout apprentissage du réel, parce qu’il renvoie nécessairement à une culture et à une conscience, devient une expérience périlleuse que seule l’analyse du flux lumineux nous permet de mesurer.
Emmanuelle Negre, littéralement, nous donne à « réfléchir » sur ce que nous croyons voir. Elle nous permet de comprendre comment les torsions, les ruses, les multiples facettes de cette lumière, sont des leurres qui nous éclairent. Une définition possible de l’art ?
LA FONCTION MAGIQUE DE L’OEIL
“La première image dont il m’a parlé, c’est celle de trois enfants sur une route en Islande en 1965’’. Sans soleil, Chris Marker, 1982.
La première image dont elle m’a parlée, c’est celle du soleil de minuit, enchâssé dans sa memoire après un voyage au pôle. Tel Sandor Krasna, le caméraman de Sans soleil, Emmanuelle Nègre explore le monde à la recherche d’images, afin de retrouver des paysages vus quelque part au fond d’une caisse de diapositives ou sur de vieilles bobines de films. Il ne s’agit pas ici de reconstituer les souvenirs ou phénomènes observés lors de ses voyages, mais plutôt de les convoquer, de se remémorer des fragments. Elle agit comme un destructeur pour mieux recomposer, s’interrogeant sur les procédés du cinéma allant du panorama à la super 8 en passant par le flipbook. Elle accélère ou arrête le défilement des images pour s’en saisir, pour ré-expérimenter manuellement, inventant tel un scientifique amateur fou, de nouveaux procédés perturbant l’équilibre du visible à l’invisible.
Cette fascination pour l’image que transporte Emmanuelle Nègre dans toutes ses pièces, s’effectue le plus souvent par le biais d’une machine. Cette dernière ne procède non pas comme moyen de reproduction mais comme déformation de l’image, remise en cause d’une forme qui devient unique sous le traitement de l’artiste. Répétant inlassablement le même mouvement, la machine folle présentée ici profite de notre persistance rétinienne pour nous administrer ses multiples flashs, nous imprimer ses projections. Vidée à l’extrême de tout ce qui apparaît comme la traduction du visible, l’installation nous renvoie une image saturée, ruinée. Il ne nous reste plus qu’un dispositif, cassant radicalement avec le sublime de son inspiration première, créant une évocation mécanique invraisemblable, rompant par là même avec la notion de décorum, et nous impliquant sans doute trop dans l’expérience pour pouvoir nous faire voir au delà de la mise en scène.
TEMPS DE POSE
JESSICA MACOR 2018
Combien de temps faut-il pour assister à l’apparition d’une image ?
Les œuvres proposées dans Temps de pose, première exposition personnelle parisienne de l’artiste niçoise Emmanuelle Nègre, interrogent la photosensibilité des supports et des différentes temporalités des techniques de développement artisanal.
En s’intéressant à certains procédés considérés comme désuètes, tels que le rayogramme, l’anthotype, le cyanotype ou l’hologramme, ou alors en expérimentant avec le phénomène de la persistance rétinienne, au principe de la perception du mouvement dans le cinéma, la sélection de travaux exposés pour l’occasion à The Film Gallery questionne la notion de temps comme condition nécessaire à l’apparition des images.
Si la production de l’artiste portait jusque là principalement sur la recherche et la création de différents dispositifs de projection, ces nouvelles œuvres créés pour cette exposition proposent une réflexion autour de la matérialité : les substances révélatrices de l’image sont à la fois l’outil de travail et le sujet représenté, tels que les graines de café dans les rayogrammes dévéloppés au cafénol, ou alors les cristaux de citrate d’ammonium ferrique et de ferricyanure de potassium dans les cyanotypes, et encore le coucher du soleil issu du film Le Rayon vert d’Eric Rohmer est là pour rappeler le temps d’exposition au soleil nécessaire à l’apparition de l’image anthotypique. Le temps, la lumière, la substance révélatrice : ce sont les ingrédients essentiels au surgissement de l’image photographique.