*« Nice est devenue cinémapolis. Il y a ici aux environs de treize troupes qui tournent, paraît-il » Louis Feuillade, réalisateur, à Marcel Levesque, acteur, février 1917.
Commissariat de Jean-Jacques Aillagon, assisté d’Aymeric Jeudy
Scénographie & Conception graphique : Kristof Everart & Marcel Bataillard
Production : Jean-Pierre Barbero
En partenariat avec La Cinémathèque française.
Nice est l’un des berceaux du cinéma. C’est en 1896 qu’étaient tournées, par les frères Lumière, les premières images animées du Carnaval.
À Nice comme ailleurs, les premiers films réalisés sont des reportages, tels ceux inscrits au Catalogue Lumière, à l’instar de Touristes revenant d’une excursion, 1897 ; Carnaval [I], 1897 ; Cortège présidentiel, place Masséna à Nice, 1901 ; M. le président de la République sur la Jetée-Promenade, 1901… C’est par ailleurs, dès les années 1910, que les tournages de films de fiction se multiplient. Bigorno fume l’opium (Pathé Fiction) est tourné en 1914. Les premiers tournages apprécient à Nice ce que d’autres réalisations recherchent en Californie, la qualité et la constance de la lumière, indispensable ingrédient de cette expérience artistique nouvelle qu’est le cinéma. Les incunables de la filmographie niçoise sont, ainsi, réalisés en plein air.
Le cinéma aura cependant rapidement besoin d’équipements propres de façon à pouvoir bénéficier de la puissance évocatrice de décors construits, d’abord en extérieur, puis en intérieur, la capacité à mieux produire de la lumière électrique s’étant affirmée. C’est avant 1908 qu’un studio Pathé ouvre route de Turin, suivi par un studio Gaumont, à Carras, en 1914 et, bien sûr, par la Victorine en 1919. En 1930, ce sont six studios qui constellent, d’ouest en est, le territoire niçois, reproduisant sur la Côte d’Azur le même phénomène qui s’était fixé sur les collines de Los Angeles, à Hollywood.
Le destin si représentatif des Studios de la Victorine, dont on célèbre le centenaire, s’inscrit dans cette histoire-là. Quand, en 1919, Serge Sandberg et Louis Nalpas décident de doter Nice de nouveaux studios, ils jettent leur dévolu, à l’ouest de la ville, sur le domaine de la Victorine. Ils allaient édifier, sur cette colline, des équipements performants grâce aux aménagements d’Édouard-Jean Niermans, par ailleurs auteur de plusieurs édifices niçois dont le célèbre Negresco, inauguré en 1913.
À partir de cette date, d’abord à côté des autres studios, puis de façon plus exclusive, la Victorine va faire partie de cette « Factory » niçoise qui verra éclore une prodigieuse filmographie dans laquelle on identifie de vraies pépites qui ont marqué l’histoire du cinéma. Pour n’en citer qu’une par décennie, on ne peut omettre de mentionner La Montée vers l’Acropole (René Le Somptier, 1920), Shéhérazade (Alexandre Volkoff, 1927), Les Pirates du rail (Christian-Jaque, 1937), Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), Le Mystère Picasso (Henri-Georges Clouzot, 1955), Lady L. (Peter Ustinov, 1964), La Nuit américaine (François Truffaut, 1972), Le Diamant du Nil (Lewis Teague, 1985), À propos de Nice, la suite ([Collectif], 1994), Les Vacances de Mr. Bean (Steve Bendelack, 2006), Magic in the Moonlight (Woody Allen, 2013).
Le destin cinématographique de Nice est intimement lié à son destin touristique qui fonde, aujourd’hui, la candidature de la ville à une inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Comme les riches hivernants, les réalisateurs recherchent dans cette ville de Riviera l’éclat de la lumière et la douceur des hivers. Ils y trouvent, comme leurs collègues américains à Hollywood, les conditions idéales pour y réaliser des films dans les meilleures conditions. La densité du parc hôtelier – il y a 151 hôtels en 1910, il y en aura 366 en 1935 – favorise cette activité en lui permettant de loger les talents et les techniciens dont cette activité artistique est si consommatrice. De la même façon que le tourisme niçois s’affirme d’emblée cosmopolite, la production cinématographique le sera aussi, réunissant à Nice auteurs, réalisateurs et acteurs de toutes nationalités : Alexandre Volkoff, Grace Kelly, Alfred Hitchcock, Terence Young, Bryan Forbes et tant d’autres.
Cette rencontre entre le destin touristique de Nice et sa destinée cinématographique fera d’ailleurs, au passage, de Nice un « objet cinématographique » dont l’image sera démultipliée et glorifiée dans le monde entier, les films ayant la ville pour décor ajoutant leur puissance d’évocation à celle de la photographie, de l’affiche et des publications. Rien que la Promenade des Anglais y gagnera une plus grande notoriété mondiale encore.
De la même façon, le développement rapide du réseau des lieux de cinéma, puis des cinémas eux-mêmes, doit beaucoup à la présence à Nice d’une importante population d’hivernants auxquels s’ajouteront progressivement, à partir des années 1930, des estivants, donc d’une population en situation et en attente de loisirs.
Faut-il rappeler que, de 1760 à 1960, ce que nous appelons aujourd’hui le tourisme sera le seul moteur du développement de Nice, ville passant d’un peu plus de 20 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle à près de 143 000 à la veille de la Première Guerre mondiale ?
Ce sont 123 ans de l’incroyable alliance entre le cinéma, le 7e art, l’art des temps modernes par excellence, et Nice qui sont ainsi célébrés à travers l’exposition « Nice, Cinémapolis » présentée à la villa Masséna. Cet intitulé est emprunté au passage d’une lettre de Louis Feuillade, le réalisateur des Fantomas mort à Nice en 1925, au comédien et cinéaste Marcel Lévesque : « Nice est devenue Cinémapolis. Il y a aux environs de treize troupes qui tournent, paraît-il ».
L’exposition rend compte, en embrassant dans la même perspective le cinéma qui s’est fait à Nice et le cinéma tel qu’il s’y est montré, les cinémas, donc, et le Cinéma. Sa chronologie qui s’étend de 1896 à 2019, illustrée à partir de nombreuses collections et plus particulièrement de celle de la Cinémathèque française, permet de témoigner de l’intense activité cinématographique de Nice et du rôle fondamental que la ville a joué dans le développement du 7e art, tout au long du XXe siècle. L’exposition fait dialoguer des œuvres diverses : extraits de films, affiches, photographies de tournage, manuscrits etc., conduisant ainsi le visiteur à découvrir, grâce à une approche transversale de l’histoire niçoise du cinéma, l’histoire d’une ville qu’on surnomma l’« Hollywood européen ». D’une certaine manière, l’exposition « Nice, Cinémapolis » est aussi un hommage à Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française qui, parrainant en 1976, la création de la Cinémathèque de Nice, présentait dans cette ville une exposition intitulée « 80 ans de cinéma à Nice ». C’était il y a 43 ans déjà.